Hallucinant : l’État français délocalise la répression politique

la DGSI sous-traite à Londres

Un fait historique dont les Français devraient mieux se souvenir : la Police nationale, celle que dirige aujourd’hui un certain Gérard Darmanin, une grenouille de bénitier qui à l’occasion, se fait faire des fellations par des administrées, contre récompense, a été fondée par Vichy le 14 août 1941. Ici le 21 janvier 1942, les policiers français prêtèrent allégeance à Paris au chef de l’État fasciste, Philippe Pétain (Roger-Viollet)

J’en ai lu l’évocation sommaire en cette journée du 18 avril, ai d’abord eu du mal à y croire, jusqu’à trouver ce soir un premier article français, dans Libération.

Dans la théorie de l’État de droit, où le Droit prévaut sur le pouvoir politique, nul ne peut être arrêté sans avoir commis d’infraction à la loi et la légalité de l’enquête est garantie par une procédure, dont le récit détaillé est transmis à une autorité judiciaire, dans la perspective d’un éventuel jugement ou classement. Différents moyens légaux existent pour exporter une enquête judiciaire. Un mandat international peut être délivré pour faire arrêter un sujet qui sera ensuite extradé. Un juge français peut aussi délivrer une commission rogatoire internationale (CRI) pour enquêter à l’étranger, où les investigations seront conduites par des enquêteurs locaux, dans le respect de leur propre Droit, en la présence de Français. Rien de tel ne s’est passé à Londres le soir du 17 avril. Voici des extraits de l’article

[…] La Foire du livre de Londres représente un des plus grands rendez-vous de l’édition en Europe. Comme beaucoup de ses collègues, Ernest Moret, 29 ans, qui représente les droits étrangers pour les deux maisons indépendantes la Fabrique et la Volte (éditeur d’Alain Damasio), avait prévu d’être présent à cette manifestation qui se tient jusqu’à 20 avril au palais des expositions d’Olympia, dans la capitale britannique […]
Mais à son arrivée à la gare de Saint-Pancras dans la capitale britannique, lundi 17 avril au soir par l’Eurostar, aux côtés de Stella Magliani-Belkacem, la directrice éditoriale de la maison La Fabrique, il a été interpellé par des policiers. Il «est maintenant détenu sans avocat pour être interrogé en vertu du Schedule 7 du Terrorism Act 2000 – sous prétexte de vérifier qu’il n’est pas sur le point de commettre des actes terroristes ou en possession de matériel destiné à une entreprise terroriste», a indiqué mardi sa maison d’édition […]
Mardi vers 18h30 locales (19h30 à Paris), son avocate française Maître Marie Dosé a indiqué qu’il avait été relâché, sans poursuites à ce stade mais dans l’attente d’investigations supplémentaires. «Il sort et n’est pas poursuivi pour l’instant. Les investigations continuent, ils gardent son ordinateur et son téléphone pour l’exploiter. Le confrère britannique pense que s’ils arrivent à en exploiter les contenus, ils seront transmis aux autorités françaises», a-t-elle indiqué à Libération […]
Selon la maison d’édition, les policiers britanniques auraient justifié son interpellation par le fait qu’il aurait participé à des manifestations en France. «Une telle déclaration de la part d’un policier britannique est tout à fait insensée et semble clairement indiquer une complicité avec les autorités françaises sur ce dossier», poursuit le communiqué. L’arrestation n’a pas de motif clair, mais un des policiers aurait mentionné «le fait qu’Ernest aurait participé à des manifestations» en France, contre la réforme des retraites, a expliqué Sebastian Budgen, éditeur chez Verso Books, chez qui Ernest Moret et Stella Magliani-Belkacem devaient séjourner […]
La police a saisi le téléphone et l’ordinateur portable d’Ernest Moret qui a refusé de leur communiquer ses codes d’accès […]
Pendant son audition, les policiers britanniques ont posé à Ernest Moret des questions comme «Soutenez-vous le président Macron ? Avez-vous participé aux récentes manifestations ? Quels livres vont être publiés par la fabrique ?… Bref. C’est scandaleux», s’est indigné Maître Marie Dosé […]

Ma compréhension du mécanisme à ce stade : les enquêteurs britanniques ne trouveront rien à reprocher de terroriste à Ernest Moret, mais si le processus actuel n’est pas interrompu, ses données personnelles risquent d’être transmises à leurs homologues français, qui n’auraient pu les obtenir autrement. Elle n’est pas belle, la vie ? Je résume : en Droit français, aucun motif légal ne permettait l’arrestation, la fouille ou la saisie de données personnelles d’Ernest Moret. Aucun mandat international, ni commission rogatoire, qui devraient viser une infraction de Droit français et être délivrés par un magistrat français. À l’inverse en Droit britannique, la section 7 de l’arsenal antiterroriste, permet pour une simple présomption, d’arrêter une personne aux frontières, pour l’interroger et la fouiller. Autre particularité bien pratique au Royaume-Uni : le juge d’instruction n’existe pas. En cas d’infraction suffisamment caractérisée, les policiers vous livrent directement au tribunal. Ce qui ne sera pas le cas ici, mais pas non plus de contrôle de la procédure par une autorité judiciaire. En revanche, si le Independent Office for Police Conduct (IOPC), qui ne tire pas dans la même catégorie que la très servile IGPN (Inspection générale de la Police nationale), s’en mêle, cela peut faire très mal. Une autre culture, celle de la responsabilité.

Pour faire simple, la police antiterroriste britannique a d’autres chats à fouetter qu’Ernest Moret, dont elle ignorait complètement l’existence avant que quelqu’un ne lui en parle. Le sujet ne semblait pas menacer la Grande-Bretagne et les enquêteurs ne l’ont interrogé que sur des questions politiques françaises. Ils n’ont pas agi au pifomètre, qui devrait alors être révisé, mais certainement à la demande administrative de leurs homologues français. Lesquels ? Des contacts directs à l’étranger, dans une affaire présumée de terrorisme, désignent la DGSI, directement subordonnée au ministre de l’intérieur. Mais qu’a t il pu leur passer par la tête ? Si nous nous souvenons des spectaculaires échecs de 2015 ou de l’affligeante affaire Samuel Paty, en 2020, nous avons déjà compris que la DGSI est bien plus réactive en matière de répression des oppositions politiques qu’elle n’est efficace en lutte antiterroriste. Et pour Gérald Darmanin, le combat contre ce qu’il appelle ultra-gauche est un peu sa guerre sainte.

Le sang des démocrates britanniques n’a fait qu’un tour et le Guardian prend moins de pincettes que Libération quand il relate aussi l’affaire, c’est culturel

French publisher arrested in London on terrorism charge
[Un éditeur français arrêté à Londre pour terrorisme]
Ernest Moret was stopped at rail station and taken into custody, where he was questioned about his participation in French protests
[Ernest Moret a été intercepté à la gare et placé en gardé à vue, où il a été interrogé au sujet de sa participation aux manifestations françaises]
He was questioned for six hours and then arrested for alleged obstruction in refusing to disclose the passcodes to his phone and computer
[Il a été interrogé pendant six heures et ensuite arrêté pour avoir refusé de révéler les mots de passe de ses téléphone et ordinateur]
Magliani-Belkacem told the Guardian: “When we were on the platform, two people, a woman and a guy, told us they were counter-terrorist police. They showed a paper called section 7 of the Terrorism Act of 2000 and said they had the right to ask him about demonstrations in France
[Magliani-Belkacem a raconté au Guardian : “Quand nous étions sur le quai, deux personnes, une femme et un homme, nous ont dit qu’ils étaient de la police antiterroriste. Ils nous ont montré un papier intitulé section 7 du Terrorism Act 2000 et dit qu’ils avaient le droit de le questionner sur les manifestations en France”]
Éditions la Fabrique is known for publishing radical left authors
[Les éditions de la Fabrique sont connues pour publier des auteurs d’extrême-gauche]
Pamela Morton, senior books and magazines organiser for the National Union of Journalists, also expressed concern. She said it seemed “extraordinary that the British police have acted this way” in arresting a publisher on the way to the London book fair. “We will be taking this up with the police,” she added
[Pamela Morton, du Syndicat national des journalistes, a aussi exprimé ses inquiétudes. Il lui a semblé “extraordinaire que la police britannique agisse de cette façon” en arrêtant un éditeur sur son chemin vers la Foire du livre de Londres. “Nous allons en parler avec la police” a t elle ajouté]

Pour sa part, le Telegraph titre

Left-wing French publisher arrested by Scotland Yard ‘over anti-Macron protests’
[Un éditeur français de gauche arrêté par Scotland Yard “en raison des manifestations contre Macron”]

J’ai le sentiment agréable que les Britanniques sont bien partis pour tirer l’affaire au clair, quant à ce qui leur parait être un usage abusif de leur loi antiterroriste. Je regretterais infiniment que Gérald Darmanin s’en tire à bon compte.

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